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Le polar, dernier refuge de la narration ?
Les librairies de Bologne, sont toujours aussi tentantes et accueillantes : celle de la ’Coop’, bien sûr, délicieuse à plus d'un titre, puisqu'elle offre aussi, à côté des livres, les meilleurs produits 'slowfood' de la ville, mais aussi la ‘Nanni’, près de la Piazza Maggiore, avec ses boiseries, ses présentoirs dehors, sous la galerie, bien classés, avec des tas de livres de seconde main, et ses vitrines alléchantes pleines de livres d’art... Et puis, j’aime bien la ‘Feltrinelli', plus populaire, ou la ‘Mondadori’, les deux chaines nationales émargeant de grands groupes éditoriaux, intéressantes pour savoir ce qui se lit, pour comprendre ce qui s’écrit.
La mode du polar, du ‘giallo’, est aussi forte ici qu’ailleurs, avec d’excellents auteurs, tous des best-sellers, et tous traduits dans plein de langues – il y a même, comme en Angleterre (Nicci French), aux États-Unis (Ellery Queen) ou en France (Boileau-Narcejac), des tandems d’écrivains, Fruttero et Luccentini, bien sûr, mais, aujourd’hui, Monaldi et Sorti, par exemple, auteurs de pavés très bien ficelés, le petit dernier, Malaparte : Morte come me, traitant de l’écrivain Curzio Malaparte aux prises avec la police fasciste pour un crime qu’on lui met sur le dos et qu’il n’a pas commis. Très pro.
Mais la question que je me pose, aussi, c’est pourquoi, sociologiquement, le polar a pris autant de place dans ce qui s’écrit et se publie aujourd’hui ?
On pourrait facilement dire que c’est parce que les temps sont durs, et qu’on a besoin d’évasion.
Mais est-ce que ce ne serait pas aussi parce que le roman est arrivé en fin de course, usé par tant d’autobiographies à peine déguisées, de narcissismes avoués, d’astuces techniques ou stylistiques gratuites et stériles, de manque de puissance narrative, et qu’aujourd’hui comme au XIXe siècle, le lecteur recherche des mondes parallèles, des drames, des ambitions, des désillusions, de grandes amours et de grandes haines ?
En cela, le roman policier rejoint les grands romans feuilletons du XIXe, ceux d’Eugène Sue ou de Ponson du Terrail autant que ceux de Balzac ou de Victor Hugo. Les ficelles sont à peu près les mêmes, et si l’écriture n’est pas liée à une publication en feuilleton hebdomadaire, elle garde cette structure, les surprises inexpliquées en fin de chapitre, le suspense dilué sur l’ensemble du livre, le changement de narrateur et le changement d’unité de lieu, de temps ou d’action.
C’est à se demander si, à force de vouloir être cohérent, ou disons parfait, dans sa construction narrative, suite à des générations d’écrivains et de studieux qui ont démonté les rouages des romans, et ont dévoilés narrateurs et narrations (Flaubert, Proust, Barthes, Genette, « Je est un autre », narrateurs « intradiégétique » et « extradiégétique », etc...) et à d’autres générations d’écrivains qui ont tâché d’appliquer la leçon (ceux du ‘Nouveau roman’, en particulier), le roman n’a pas perdu son âme, et son rôle, qui était justement de raconter des histoires, de laisser libre court à la fantaisie, à l’imagination, à la liberté d’écriture – à trop vouloir réfléchir à la forme, le roman s’est peut-être autodétruit.
À cet égard, le roman policier a longtemps été protégé, en quelque sorte, par son étiquette de « littérature de genre », et encore plus aujourd’hui par son succès (en tant que niche éditoriale et commerciale), tout comme la science-fiction, et a de ce fait pu garder les coudées franches et se développer en toute liberté, loin des modèles, des écoles et des théoriciens.
Avec cette seule différence, majeure celle-là, qu’on relit très rarement un roman policier, à quelques exceptions près, Simenon par exemple, et, pour ma part, Barbara Vine (le pseudonyme de Ruth Rendell pour sa production plus ambitieuse, je pense à l’extraordinaire Asta’s Book , Le Journal d’Asta).
©Sergio Belluz, 2016, Le journal vagabond (2016).
Ce texte a paru à l'origine sur le blog de Sergio Belluz.
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