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Colette et le style de Paul Budry
Pourquoi Henri Roorda, un extraordinaire écrivain suisse d’expression française, à la hauteur d’un Alexandre Vialatte et d’un Alphonse Allais, est-il systématiquement négligé dans les dictionnaires de littérature suisse de langue française, alors qu’on y maintient et y valorise exagérément un Paul Budry, important culturellement à cause des Cahiers Vaudois, bien sûr, et pour ses livres sur Vallotton, Bosshardt ou Bocion, mais dont l'écriture et l'oeuvre littéraire est illisible aujourd'hui?
Jacques Chessex, dans une préface à l’édition du Livre du mois (1970) de Le Hardy chez les Vaudois et de Trois hommes dans une Talbot – chèrement rémunérée, on imagine, vu les exigences du Maître en la matière – avait écrit, vachard, ambigu et péremptoire à la fois: « Parmi les grands paysagistes romands (sic) – Toepffer, Juste Olivier, Ramuz, les frères Cingria, Pourtalès – il faut faire à Budry une place privilégiée », ajoutant plus loin un vague « Il faut retrouver Budry ».
Pourtant quoi de plus vaudois, de plus lourdaud, de plus mal écrit, avec des passages qui font penser au brillant et facétieux pastiche que Colette, dans Mes apprentissages, avait fait du style ampoulé – de la jactance, c’est le mot – de son ex-mari Willy, qui apparaît sous le nom de Maugis, dans la série des Claudine :
« – Kellner ! s’écriait Maugis. Que s’avancent par vos soins la choucroute garnie mère du pyrosis, et ce coco fadasse, mais salicylé, que votre impudence dénomme bière de Munich ! Bière de Munich, velours liquide, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils boivent ! »
Colette ajoute – et ça s’applique parfaitement au style de Budry : « Cette prose, qui fuyait la simplicité, même la clarté, cette phrase à volutes, jeux de syllabes, prétéritions, truffée de mots techniques, de calembours, qui fait parade d’étymologie, coquette avec le vieulx françois, l’argot, les langues étrangères mortes et vivantes, je crois qu’en trahissant une soif d’étonner, elle révèle le caractère de celui qui l’emploie. Si l’on tenait à forcer le secret de son maniérisme, ne devrait-on pas remonter jusqu’à une très vieille timidité, une mièvrerie de débutant, et le doute de soi ?... »
© Sergio Belluz, 2015, Le journal vagabond (2014).
Ce texte a paru à l'origine sur le blog de Sergio Belluz.
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